Le magazine Le Cloud souverain : faut-il en faire une affaire d’Etat ?

On peut tirer des leçons de l’échec du cloud souverain à la française surtout en regardant comment certains de nos voisins européens, en particulier la Finlande, ont réussi à créer une dynamique économique du cloud au niveau national. Leur recette ? L’ouverture d’un écosystème collaboratif entre toutes les parties prenantes, sans faire de l’appareil d’Etat administratif un “souverain” des décisions. Alors quel rôle l’Etat Français peut-il jouer dans le cloud “à la française”.

Acte 1 : Le naufrage

Le projet ” Andromède ” du cloud souverain, à l’initiative du gouvernement français, n’a pas été sauvé des eaux. Andromède a accouché en 2012 de CloudWatt et Numergy, déclenchant de nombreuses querelles dans l’écosystème du Cloud et aujourd’hui Cloudwatt est naufragé, même repêché par Orange qui a repris l’ensemble des parts en mars 2015. Numergy ne se porte guère mieux, ou en tous cas, pas aussi bien qu’attendu. Il est clair qu’après les promesses de réaliser avec ces deux sociétés un chiffre d’affaires cumulé de près de 1 Milliard d’Euros en 2017, les chiffres d’affaires annoncés pour 2014 ont eu de quoi décevoir un des principaux actionnaires, l’Etat, qui a investi 150M€ par le biais de la caisse des Dépôts et Consignation avec 75M€ au capital de chacune des sociétés. Pour mémoire, CloudWatt a  annoncé 2M€ d’Euros de chiffre d’affaires pour 2014 (avec 29M€ de perte nette en 2013), Numergy, 6M€ d’Euros, mais qui proviennent essentiellement du principal client actionnaire… SFR.

L’Etat se désengageant officiellement en mars du projet de cloud souverain français, côté Bercy, on garantit que moins de la moitié des 150 M€ ont été dépensé début 2015. Ce qui se traduit par, a minima, déjà plus de 65M€ d’argent public investi sans espoir de retour…  L’état a agi comme n’importe quel actionnaire, il a pris des risques, le marché, surtout celui du cloud public, n’était pas garanti et a sans doute été surévalué, etc. Il faudrait donc passer l’affaire par pertes et profits.

Mais l’Etat n’est pas un actionnaire comme un autre et il est comptable de ses décisions devant les citoyens

Acte 2 : Les racines du mal

La vraie question porte sur le rôle exact que doit avoir l’Etat. L’Etat doit-il avoir dans ses droits régaliens celui d’ordonnancer les acteurs privés du marché du Cloud à la française ? De définir les besoins de toutes les entreprises ? De juger qui sera en mesure d’apporter la meilleure solution, quitte à créer de nouveaux acteurs ? Jusqu’à quel point le doit-il et surtout, le peut-il ?

En quoi une machine administrative peu connue pour avoir de la souplesse dans les budgets au sens où les dépenses d’investissement et les dépenses de fonctionnement sont compartimentées, par exemple, peut-elle être la voix de tous les clients utilisateurs de cloud et des différents usages ?

On peut comprendre que l’état soit partie prenante en particulier pour garantir aux sociétés françaises un label «  cloud souverain » qui garantisse le respect de règles de sécurité et de confidentialité des données sur le sol Français dans le respect de la législation en vigueur. S’il y a au moins des fonctions où les pouvoirs régaliens de l’état font l’objet de peu de controverse, c’est bien celles de la sécurité et du droit.

L’état a agi, en contribuant à la création de CloudWatt et Numergy, comme une structure pyramidale qui décidait par le haut de son organisation en fonction de sa politique et de ses circuits traditionnels – CloudWatt et Numergy ne sont que des surgeons de grands groupes historiques nés avec des subventions pour « faire du cloud » et non des entreprises nées de l’énergie de quelques entrepreneurs, nativement orientées vers des offres de services cloud. Pour avoir une chance d’exister et de survivre, ces entreprises doivent se créer sur un modèle économique  apportant rapidement de la valeur pour les clients utilisateurs.

Or au moment où naissent Cloudwatt et Numergy les technologies et les PME française du cloud sont nombreuses et concurrentielles et pas seulement dans le ” cloud public “. Intrinsec est bien placé pour le savoir, ayant lancé son offre en 2007. Du coup, l’approche du gouvernement, en ignorant les voix et la dynamique des acteurs déjà opérationnels, a induit beaucoup de confusions et d’attentisme dans le déploiement du cloud en France, en diminuant d’office la confiance chez les clients Ce qui explique en partie le retard en France dans l’adoption du cloud par rapport à d’autres pays européens (cf. plus bas).

Il aurait été plus judicieux, plutôt que de créer de ” nouveaux ” acteurs en 2012, de faire intervenir toutes les parties prenantes de l’écosystème existant, et que l’Etat anime l’échange en tant que partie prenante également. Avec cette spécificité d’être une partie prenante en position de faire entendre les besoins particuliers des citoyens vis-à-vis des services publics, des collectivités locales et des administrations vis-à-vis des services numériques, mais aussi du tissu des PME et des grandes entreprises françaises, notamment en matière de respect de la vie privée, de sécurité et de compétitivité.

Fixer de vrai objectifs au cloud souverain

L’état peut fixer des objectifs au cloud souverain à la Française, en termes de sécurité,  de fonctionnalités et de niveau de services attendus par les administrations et les collectivités locales, dans une vision de ce que doit être la transformation numérique à l’échelle du territoire, pour la développer de façon responsable. Mais pour développer le tissu économique et la compétitivité, il se doit aussi d’écouter les différents acteurs Français émergents et natifs des services cloud, qu’ils soient en mode IAAS, PAAS ou SAAS, leurs besoins et leurs contraintes propres, et leur laisser l’autonomie de leurs stratégies.  Il ne s’agit pas d’un ” laissez-faire le marché ” mais d’aider à rassembler les acteurs nationaux, offreurs et clients, en appréhendant l’ensemble des aspects du cloud, et de redonner du sens au ” cloud souverain ” par des objectifs explicites partagés des services à apporter.

Dans ce qu’on peut appeler ” l’affaire Andromède “, les racines du mal auront été de favoriser la création de nouvelles structures privées se déchirant dans des relations de rivalité– c’est le propre d’Andromède d’avoir les Atrides en descendance – avec des fonds publics, sans même s’attacher à définir des objectifs clairs à ce que pouvait être un cloud souverain à la Française, qui n’avait pas besoin de ça, et sans même daigner consulter l’écosystème existant. Alors qu’il aurait plutôt fallu s’attacher à créer des liens de coopération et d’émulation au sein de ce dernier, pour un travail collectif exploitant tous les potentiels de valeur et l’expérience de chacun. Il n’est pas trop tard pour le faire, car c’est à cette condition qu’on peut restaurer notre compétitivité et réussir la « transformation numérique » à l’échelle du territoire !

Acte 3 : Plutôt que planifier à la Française, si on s’animait ?

Certes, le nouveau plan du gouvernement sorti en 2014 pour accélérer le développement de la filière française du cloud, contient des mesures vertueuses, dont :

  •       Création d’un label sécurisé (Secure cloud) pour les offres de Cloud Computing.
  •       L’exemplarité de l’action publique et la création d’une place de marché numérique pour les collectivités locales
  •       L’adoption du cloud par les entreprises (avec la notion d’aide à la transformation numérique et de places de marché de solutions numériques pour les PME)
  •       Le soutien à l’innovation dans le cloud avec une orientation usage (développement de services cloud pour l’éducation, la santé, les seniors, …)

Si on voit bien avancer quelque peu les premiers points  on peut s’interroger sur cette façon de planifier ” à la française “. Planifier, c’est toujours différent d’animer et d’écouter toutes les parties prenantes… Nous sommes sur la bonne voie mais Il y a encore un effort à faire et ce n’est certainement pas qu’une question d’investissement, à  cet égard on peut prendre l’exemple de la Finlande qui a le plus fort taux de digitalisation d’Europe grâce à un investissement massif de l’Etat et un environnement propice.

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